Niebla et le règne des Guzman

Lors de nos trajets en train pour Huelva, nous avons aperçu par la fenêtre une superbe forteresse dans la localité de Niebla, à environ vingt-six kilomètres de la capitale provinciale. Evidemment, ça a titillé notre curiosité et nous n’avons pas pu nous empêcher de nous y arrêter pour aller voir ça de plus près!

Si aujourd’hui, Niebla est un petit village andalou de peu d’importance, ça n’a pas toujours été le cas dans le passé. La localité fut fondée à l’Age de Bronze par les Tartessos, une civilisation du Ier millénaire avant Jésus-Christ qui occupait l’ouest de l’Andalousie actuelle. Les Romains développèrent la ville qui passa sous l’influence directe d’Italica, dans l’actuelle Santiponce en banlieue de Séville. Ensuite, l’histoire est exactement la même que dans tout le sud de la péninsule ibérique : les Wisigoths chassèrent les Romains et furent eux-mêmes chassés par les musulmans. Niebla devint alors un taïfa indépendant avant d’être englobé dans celui de Séville. La ville fut reconquise par les catholiques sous l’égide d’Alphonse X de Castille en 1262 après neuf longs mois de siège. A cette époque, Niebla devint un comté riche et important. Mais tout se gâta en 1508 quand le roi d’Espagne, Fernando II réclama le duché voisin de Medina Sidonia. Niebla, en tant qu’allié de ce dernier, refusa et se mis à le défendre. En représailles, le roi y envoya 1500 hommes et ordonna l’assaut de la ville. Mais heureusement, le massacre attendu n’eut finalement pas lieu car le duc a fini par abdiquer et céder son duché à la couronne de Castille. Mais cet épisode marqua le début du déclin pour Niebla qui fut aggravé par le grand tremblement de terre de Lisbonne de 1755 qui fit beaucoup de dégâts dans toute l’Andalousie.

Niebla ne redevint jamais prospère. Aujourd’hui, c’est un village andalou endormi, qui sert de cité-dortoir pour la population qui va travailler à Huelva ou même à Séville. Seuls quelques monuments historiques d’envergure rappellent ce passé glorieux dans une des provinces les plus oubliées d’Espagne et qui porte le titre peu enviable de parent pauvre de l’Andalousie.

Les remparts de Niebla

Niebla peut se targuer d’avoir une muraille d’une conservation remarquable. Ce que nous voyons aujourd’hui nous vient tout droit de l’époque almohade, c’est-à-dire musulmane, mais la base avait déjà été construite par les Tartessos, à l’Age de Bronze. Il en reste six portes dont certaines ont la fameuse forme en serrure des portes islamiques. C’est la muraille la plus ancienne la mieux conservée d’Europe.

Le château des Guzman

Bien qu’on y ait trouvé des restes wisigoths, romains et mudéjars, ce château en question est un pur produit de la Reconquista. Il fut construit en 1368 lors de la création du comté de Niebla qui allait grosso modo de Sanlúcar de Barrameda jusqu’à la frontière portugaise mais en passant par l’arrière-pays. Le château appartenait à la noble famille Guzman, qui malgré la consonnance un peu germanique, est un nom typiquement castillan. La famille appartenait à la maison de Medina Sidonia et donna même une reine du Portugal (Luisa de Guzman, femme de Jean IV du Portugal) ainsi qu’une impératrice (Eugenia de Montijo, femme de Napoléon III). Elle reçut ses titres de noblesse directement du roi pour services rendus à la couronne de Castille. C’est grâce aux Guzman qui maîtrisaient l’art des alliances et du commerce que Niebla connut une époque très prospère pendant la Renaissance. Le lignage de la famille existe toujours et il y a encore aujourd’hui un comte de Niebla même si son rôle se limite à parrainer des fondation et à donner des conférences dans diverses universités du pays.

Le château se visite pour quatre euros. L’avantage des petites structures telles que celles-ci, c’est que le personnel, super sympa, a le temps de vous accueillir, de vous faire un brin de causette et de répondre à toutes vos questions concernant la région ou le patrimoine historique. C’est le château-fort typique avec sa ceinture extérieure, son donjon, ses tours, son chemin de ronde, ses mâchicoulis, ses cachots, etc… Malgré son côté calme et un peu oublié, le château de Niebla grouille d’activités. Il y a déjà les archéologues qui cherchent des vestiges antérieurs à la construction de l’édifice. Ensuite, il y a les restaurateurs qui font un boulot de dingue depuis des années car avec le tremblement de terre de Lisbonne de 1755, la mise à sac par les troupes napoléoniennes lors de la Guerre d’Indépendance (1808-1814) et l’abandon qui en découla, l’édifice a bien morflé! Enfin, outre la mise à disposition des touristes pour les visites, l’enceinte du château accueille un festival de théâtre renommé dans la région. Ça nous fait plaisir de voir qu’on bichonne ces bijoux historiques et qu’on les fasse vivre à travers diverses activités culturelles.

Iglesia San Martin

Même si l’intérêt principal de Niebla reste son château, il vaut la peine de faire quelques pas dans le village pour accéder aux ruines de l’église de San Martin. On y voit clairement l’ancienne mosquée avec sa porte en forme de serrure (à gauche) sur laquelle a été construite, au XVe siècle, une énorme cathédrale gothique dont il nous reste l’abside ainsi que le clocher. Mélange des cultures oblige, la mosquée a été transformée en chapelle dont la déco est on ne peut plus catholique.

Niebla n’est pas un incontournable en Andalousie mais elle a le mérite de nous offrir une petite halte culturelle hors des grands circuits touristiques. En plus, elle est facilement accessible depuis les stations balnéaires de la côte atlantique pour ceux qui en auraient marre de se dorer la pilule à la playa.

Ayamonte

Dans notre conquête de l’ouest, nous avons décidé de pousser le bouchon encore plus loin et de nous rendre au bout du bout, à l’extrême sud-ouest de l’Espagne péninsulaire, à la frontière portugaise : Ayamonte. Ce petit village de pêcheurs fondé par les Phéniciens connut une histoire similaire à toute la région avec les Romains, les Wisigoths et les Arabes tout en ayant une forte influence portugaise qui ne se ressent plus trop aujourd’hui. Elle eut de grandes relations économiques et commerciales avec l’empire colonial espagnol en Amérique qui lui assura assez de ressources pour connaître la prospérité. Aujourd’hui, c’est une petite ville andalouse agréable et néanmoins assez animée grâce au tourisme des plages atlantiques proches comme la Isla Canela ou la station balnéaire portugaise de Vila Real de Santo Antonio qu’on peut rejoindre en ferry.

En transports publics, Ayamonte est accessible en bus depuis Huelva, et parfois, directement depuis Séville.

Plaza de la Laguna

Difficile de faire plus andalou avec cette magnifique place au centre d’Ayamonte. Tout y est : les maisons blanchies à la chaux, les palmiers, une pergola pour faire un peu d’ombre, une statue en marbre (dans ce cas la statue de l’Immaculée Conception datant de 1954) ainsi que les bancs ornés de mosaïques. Seuls quelques azulejos bleus nous rappellent que nous ne sommes qu’à deux pas du Portugal. La place date du XVIIIe siècle mais a été remaniée au moins une fois par siècle depuis sa construction. Elle est bordée par l’Ayuntamiento (la mairie) et par de jolies terrasses à l’ombre bienvenue dans cette chaleur estivale.

Bom dia Portugal!

Ayamonte se trouve sur la rive gauche du Rio Guadiana pratiquement à son embouchure dans l’océan Atlantique. Si le nom de ce fleuve vous dit quelque-chose, c’est normal, nous vous en avons déjà parlé puisqu’il traverse également la ville de Badajoz avant de tracer la frontière entre l’Espagne et le Portugal jusqu’à la mer. Vous l’aurez compris, sur la rive droite, ce sont nos voisins et amis portugais. Pour aller leur dire bonjour, il y a deux solutions. La première consiste, si vous avez une voiture, de prendre l’autoroute A22 et d’emprunter le magnifique pont international du Guadiana qui traverse la rivière. Cet impressionnant pont suspendu de 666 mètres de long, le troisième plus long du Portugal après les deux ponts qui traversent le Tage à Lisbonne, fut inauguré en 1991 après vingt-huit ans de travaux. Si ça a pris si longtemps, ce n’est pas parce que les ouvriers ont trop fait la sieste comme le disent souvent les préjugés venus du nord, mais à cause du Rio Guadiana trop large (plus de cinq cents mètres) et trop profond (une bonne dizaine de mètres) ce qui posa de grands défis techniques aux constructeurs.

La deuxième solution pour rejoindre la localité portugaise de Vila Real de Santo Antonio est d’emprunter le ferry. Il part sur le quai du Guadiana tout proche du centre-ville, la traversée coûte 2,30€ et il y en a toutes les trente minutes. Par contre, nous ne l’avons pas testé pour vous. Etant tributaires des transports publics, nous étions pris par le timing. Mais ce n’est pas l’envie qui nous a manqué!

Malgré ces jolies petites découvertes, nous n’avons pas renouvelé notre abonnement gratuit pour Huelva pour ce dernier quadrimestre de 2023. Nous avons préféré prendre celui pour Cádiz que nous adorons et dont la province nous coupe le souffle à chaque fois. Mais ce n’est pas pour autant que nous allons abandonner la province onubense (oui, c’est comme ça qu’on appelle les gens de Huelva!) à son triste sort. Il y a toute la Sierra de Huelva, mieux accessible depuis Séville et idéale pour des balades automnales sans risque d’incendie, que nous mourrons d’envie d’aller découvrir!

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