Dresser un bilan d’un pays comme l’Inde est un exercice périlleux. C’est un pays tellement intense et un ascenseur émotionnel permanent qu’il nous est très difficile, à chaud, de décrire précisément ce que nous ressentons. Nous allons néanmoins essayer de nous prêter au jeu du bilan.
Nous allons commencer par le plus facile, les chiffres :
Durée du séjour : 38 jours, un peu plus de cinq semaines
Budget : 96’358 roupies (1416 CHF / 1240€) soit une moyenne journalière de 37,25 CHF (32,60€). Nous nous en sortons bien sachant qu’il y a un vol interne, les entrées au Taj Mahal (18 CHF / 15,75€ par personne) et les visas (83 $ par personne)
Distance parcourue : 4011 kilomètres. Kochi – Varkala – Coimbatore – Mysore – Goa – New Delhi – Agra – Jaipur – Ajmer – Pushkar – Jaipur en vol interne (de Goa à New Delhi), bus de la mort, rickshaws et principalement en train.
Etats traversés : 7 : Kerala, Tamil Nadu, Karnakata, Goa, Territoire fédéral de New Delhi, Uttar Pradesh et Rajasthan.
Extrêmes d’altitude : le niveau de la mer sur les côtes du Kerala et de Goa, et 1093 mètres au sommet du col de Dimbham dans les Ghâts occidentaux sur la route entre Coimbatore et Mysore.
Extrêmes de températures : 36 degrés sur les côtes du Kerala, 44 degrés à Agra. Bref, nous n’avons pas eu froid!


Maintenant, ça se corse. Nous allons essayer de vous transmettre nos ressentis mais ce n’est pas évident car c’est tellement intense, que c’est encore confus dans nos têtes. Avant de vous donner nos coups de gueule ou coups de cœur, nous allons essayer de vous expliquer comment fonctionne la société indienne.
La société indienne est très complexe, surtout pour des Occidentaux ignorants comme nous. Elle repose sur un système de castes (pourtant interdit depuis les années 1950), la religion et les valeurs familiales. En tant que visiteurs étrangers, nous essayons de nous adapter au mieux et surtout d’éviter d’offenser la population locale. Mais avec le nombre hallucinants de codes sociaux, nous commettons très probablement une douzaine d’impairs à la minute et ça ne passe pas toujours. Avec le manque d’éducation, aller à l’école ne va pas de soi en Inde, certaines personnes n’ont pas le recul pour se dire qu’il existe des gens d’ailleurs avec une autre culture qui ne font pas exprès de commettre des erreurs. Du coup, bonjour l’hostilité ambiante! A noter également que pour les castes supérieures, les non Indiens sont hors caste, donc considérés comme impurs! Eh non, en Inde, nous ne nous sommes de loin pas toujours sentis les bienvenus! Quel choc après Oman où tout le monde nous ouvrait la porte de sa maison!
Le langage universel, le sourire, ne fonctionne pas à tous les coups pour désamorcer une situation. Au contraire, l’Inde est sûrement le pays le moins souriant qu’il nous a été donné de visiter. Nous trouvons, en général, la population d’une tristesse effroyable et nous ressentons un cruel manque d’amour entre les personnes. La faute sûrement à des pressions familiales et religieuses trop élevées et aux mariages arrangés, encore très courants, qui ne placent pas l’amour en priorité.
Malgré le tableau sombre que nous venons de dresser, nous avons tout de même rencontré des gens extraordinaires, ouverts, curieux et très souriants qui venaient nous dire bonjour et nous demander une photo. Mention spéciale à une grand-mère de plus de 80 ans qui a insisté auprès de sa petite-fille pour nous demander un selfie (le seul mot d’anglais qu’elle connaissait!) alors qu’elle savait à peine se servir d’un téléphone portable!
Avec plus d’1,2 milliards d’habitants, 300 langues et des dizaines de croyances différentes, il est normal de croiser une population hétéroclite. Pour nous, échanger avec la population locale fut la pire ET la meilleure expérience de l’Inde.
Les regards
En Inde, fixer quelqu’un du regard n’est pas considéré comme inconvenant. Et comme, en tant qu’Occidentaux, nous ne passons pas inaperçus, nous avons été souvent la cible des regards. Nous avons décelé trois types de regards principaux :
Le regard pervers : Van y a eu droit plus souvent qu’à son tour et la présence de Fab n’y change rien. Là, l’expression « déshabiller du regard » prend tout son sens! C’est un regard très appuyé accompagné de gestes obscènes. Le fait d’être habillée comme une religieuse ne va pas empêcher ce genre de regards non plus. Ceci s’explique par un cruel manque de femmes dans le pays pour cause de discrimination sexuelle. Une femme, se sachant enceinte d’une fille, opte souvent pour l’avortement. Pire encore, il y a des fillettes assassinées à leur naissance car une fille ne rapporte rien à sa famille, au contraire, elle lui coûte une dot. Donc certains hommes, dès qu’ils croisent une femme, occidentale de surcroît, se transforme en véritable porc. Vu le peu de considération des femmes dans ce pays, c’est un comportement presque perçu comme normal. Malgré l’envie de balancer ce genre de personnage par la fenêtre du train, la meilleure défense est l’indifférence car ces mecs essayent surtout d’attirer l’attention et le pire affront que nous pouvons leur faire, c’est de ne surtout pas la leur donner.
Le regard hostile : C’est un regard qui te donne envie de disparaître 6 pieds sous terre! Comme expliqué plus haut, les différences de culture ne sont pas toujours bien perçues ou comprises par la population locale. Du coup bonjour les regards noirs! Le fait que Fab aide Van à enfiler son sac à dos nous a également valu ce genre de regard car c’est considéré comme une marque d’affection et c’est très mal vu! En même temps, il y a très peu de risque que ça arrive car avec les mariages arrangés il n’y a pas vraiment d’affection ou de galanterie dans les couples! Au début, nous étions assez déstabilisés par ce genre de regard, nous qui essayons à tout prix de respecter la population locale, nous étions frustrés par ces marques évidentes d’hostilité, mais avec le temps, nous avons fini par nous blinder et ne plus y prendre garde.
Le regard curieux : C’est souvent par ce genre de regard qu’ont commencé nos plus belles rencontres. C’est déstabilisant au début car ça reste un regard très appuyé mais il suffit de sourire ou de dodeliner de la tête à l’Indienne pour désamorcer la situation. Les plus timides se contentent de répondre à notre sourire tandis que les plus téméraires viennent nous parler ou nous demander un selfie.
Nous avons conscience de vous avoir pondu un pavé, mais c’est ce que nous vivions au quotidien en Inde. Et ce n’est pas fini! Voici maintenant le fameux « j’aime/j’aime pas »!
Coups de gueule
Le manque d’hygiène : L’Inde, c’est vraiment crade! Montagnes de déchets, excréments de vaches, de chèvres et même d’humains sur les trottoirs (quand il y en a! des trottoirs pas des humains!), les gens qui passent leur temps à cracher leurs glaires, pollution atmosphérique, cours d’eau méga pollués, etc. Voici le côté vraiment pas glamour de l’Inde mais c’est présent à chaque coin de rue.
Les inégalités sociales : En Inde, il y a des très riches et des très pauvres qui vivent dans une misère insoutenable, sans compter la condition des femmes qui est une des plus déplorables au monde! Voir certaines personnes des castes supérieurs traiter les gens qui leur sont inférieurs pire que des chiens, c’est franchement à vomir. Comment une nation qui se veut la plus grande démocratie du monde et une future puissance mondiale peut-elle accepter ça sur son territoire?
Les procédures : En Inde, c’est un bordel permanent! Et pourtant les procédures sont suivies à la lettre! Notre passeport a été contrôlé presque partout et notre visa scrupuleusement photocopié! Impossible d’être clandestin dans ce pays. A l’aéroport de Kochi, entre le bureau d l’immigration et la sortie, nous avons été contrôlés trois fois pour vérifier que nous avons bien obtenu notre visa. Pour réserver son billet de train ce n’est pas mal non plus. Il faut déjà se rendre à un guichet spécial, souvent situé à un endroit improbable de la gare, et remplir un formulaire ad hoc.
Le bruit : En Inde, il y a partout le bruit du trafic, des klaxons, des gens qui hurlent et de la musique made in Bollywood! Et ça dure 24 heures par jour! De quoi rendre dingue le plus zen des moines tibétains!
La surpopulation : Ce n’est pas vraiment le fait qu’il y ait du monde qui nous dérange mais plutôt les instincts primaires que cela engendre. Par exemple, pour pouvoir sortir du train, nous avons dû plusieurs fois nous servir de nos sacs comme boucliers car les gens se ruaient à l’intérieur, sans laisser les autres descendre, dans l’espoir de trouver une place assise.
D’avoir dû nous blinder : Après 18 mois de périple , nous avons fini par devenir des personnes plus ouvertes, plus curieuses des autres et plus tolérantes. Malheureusement, certaines attitudes franchement hostiles nous ont parfois fait rentrer dans notre coquille et nous ont donné l’impression d’avoir fait un pas en arrière. C’est affligeant car il existe une catégorie de personnes qui sont vraiment extraordinaires et qui ne méritent ni notre méfiance ni notre indifférence.
Coups de cœur
La gastronomie : Là, nous nous sommes régalés! La cuisine indienne est vraiment savoureuse bien que végétarienne. Nous avons tenu cinq semaine sans manger de viande et ça ne nous a même pas manqué! Nous avons eu de la chance de ne pratiquement jamais tomber sur des plats trop épicés ou alors c’est notre palais qui commence à devenir insensible. Nous sommes étonnés par notre système digestif qui a bien tenu le choc de ces découvertes gastronomiques.
Les paysages : Que ce soit la jungle au sud ou les paysages méditerranéens au nord, nous avons été fascinés par les trésors naturels de l’Inde. Un bon lot de consolation pendant les trajets interminables en train.
L’architecture au Rajasthan : et la couleur du grès rouge local. C’est vraiment sympa!
Bizarreries indiennes
Le manque d’intimité et d’espace personnel : Se coller à ton voisin de devant quand tu fais la queue quand tout le reste du hall est vide est tout à fait normal! Pour une fois qu’un hall de gare est vide, les gens n’en profitent même pas tellement ils sont habitués à vivre les uns sur les autres! Quand on frappe à la porte, le moment où tu ouvres la porte est considéré comme une invitation à rentrer. T’as intérêt à n’avoir personne tout nu chez toi! Une fois, nous avions la porte de notre chambre ouverte car nous nous préparions à partie, un gars est entré sans autre cérémonie pour essayer de nous vendre un balai!
Les vaches dans la rue : Il est de notoriété publique que les vaches en Inde sont sacrées et qu’elles sont libres de se promener dans la rue. Mais ce qui est vraiment marrant, c’est qu’on dirait vraiment qu’elles sont totalement conscientes de leur statut privilégié et se baladent telles des princesses en bloquant le trafic ou en squattant les meilleures places à l’ombre.
La curiosité : Quand nous croisons des gens (les sympas donc!), nous avons droit à un interrogatoire en règle sur nous et notre famille. (Où habitent tes parents? Quel est le métier de ton frère? Ta sœur a-t-elle des enfants?, etc). Notre situation financière est également passée au crible. Dans ces cas là, il faut rester vague et évaluer vers le bas, le niveau de vie étant très bas en Inde. Van a été submergée de questions concernant sa belle-mère car en Inde, lors de son mariage, une fille habite dans la famille de son mari et devient soumise à sa belle-mère qui est alors sa personne de référence.
Il est interdit de consommer de l’alcool les jours fériés à Goa : Devinez où nous avons passé le week-end de Pâques? Surtout que Goa, ancienne colonie portugaise, est le seul état à accorder les jours fériés chrétiens!



Ce bilan aura été le plus difficile qu’il nous a été donné d’écrire. Il n’est pas évident, surtout à chaud, de transcrire un tel ascenseur émotionnel. L’Inde est un pays où tout se vit intensément, où nous nous prenons des baffes en permanence et où la remise en question est perpétuelle. C’est très enrichissant mais c’est usant psychologiquement! Il nous faudra sûrement pas mal de recul pour prendre pleinement conscience de tout ce que nous avons vécu, pour digérer ce trop plein d’émotions.
On dit souvent que l’Inde on l’aime ou on la déteste. Nous l’Inde, nous l’aimons ET nous la détestons! C’est vrai que la demi-mesure n’existe pas, tout est dans l’extrême. Les choses que nous avons adorées, nous les avons aimées avec nos tripes et les choses que nous avons détestées, nous les avons haïes de toutes nos forces. Malheureusement, ces dernières ont eu tendances à prendre le dessus. Là aussi, il nous faudra du recul pour relativiser.
L’Inde n’était pas un rêve, nous y sommes arrivés presque par hasard. Nous n’avions pas d’attentes donc nous n’avons pas connu de déceptions, mais pas de réelles bonnes surprises non plus. Nous sommes contents d’avoir tenté le coup mais pour l’instant, on ne nous y reprendra plus!