Badajoz, la plus grande alcazaba d’Europe

Lors de notre retour d’Amérique Centrale, nous avons atterri à Lisbonne, au Portugal. Nous avions rendez-vous une semaine plus tard à Sagunto avec la famille de Fab. Nous avions donc quelques jours devant nous pour rejoindre la côte valencienne. En étudiant la carte, une de nos activités préférées, nous nous sommes aperçus que notre route allait passer par l’Estrémadure, une région que Van voulait découvrir depuis longtemps. Nous avons donc profité de l’opportunité pour nous y arrêter quelques jours.

Mais c’est quoi l’Estrémadure?

L’Estrémadure est une des dix-sept communautés autonomes d’Espagne au même titre que l’Andalousie ou la Catalogne. Elle est située à l’extrême ouest du pays et est littéralement coincée entre les deux Castilles, l’Andalousie et le Portugal. Culturellement, c’est un peu un mélange des trois. C’est une région assez pauvre, souvent oubliée de Madrid et principalement tournée sur l’agriculture. C’est d’ailleurs d’Estrémadure que vient le fameux « pimienton de la vera », le paprika espagnol bien meilleur que son homologue hongrois! (#zéro objectivité!) Elle est également en dehors des gros circuits touristiques du pays mais possède tout de même quelques sites dignes d’intérêt. En six jours, nous n’avons pas du tout eu le temps de tout voir, loin de là, mais nous avons déjà pu nous en faire une petite idée en visitant quelques coins.

Mérida

Mérida est une petite ville sans prétention pourtant, elle a le statut de capitale d’Extrémadure. La raison est sûrement historique car Augusta Emerita, le nom romain de Mérida, était la capitale de la province romaine de Lusitanie qui comprenait l’actuel Portugal du Douro jusqu’à l’Algarve, l’actuelle Estrémadure ainsi que l’actuelle province de Salamanca. De cette époque fastueuse, nous restent de superbes vestiges dont le superbe amphithéâtre romain, un des plus grands d’Espagne. Il y a plusieurs sites archéologiques romains à visiter dans la ville, tous inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. Mais nous n’avons pas été les visiter pour des raisons de timing et de météo. La température est montée à 42 degrés et les sites sont très exposés au soleil. Nous avons préféré partir visiter Badajoz, où nous pouvons plus facilement trouver de l’ombre et des terrasses pour nous désaltérer qu’au milieu d’un théâtre romain. L’autre raison de notre choix est que Mérida est plus accessible que Badajoz si nous voulons y revenir depuis un autre coin d’Espagne.

Nous avons quand même pu apercevoir quelques ruines dans la ville comme le superbe Acueducto de los Milagros, un aqueduc à doubles arches datant du IIIe siècle et long de cinq kilomètres ainsi que le Temple de Diana, la déesse de la chasse et protectrice de la nature, qui date, lui, du Ier siècle de notre ère.

Badajoz

Badajoz se trouve aux confins de l’Espagne, à la frontière portugaise à peu près à la hauteur de Lisbonne. Pourtant à part quelques azulejos et quelques mosaïques blanches et noires au sol, l’influence du voisin de l’ouest ne se fait pas trop sentir. Nous sommes bien en terres espagnoles! Badajoz est la plus grande ville d’Estrémadure et le centre économique. C’est également la capitale de la province du même nom à laquelle appartient également Mérida. Malgré son emplacement en cul-de-sac, Badajoz dégage un certain dynamisme et n’a pas du tout cette ambiance de bout du monde qu’on peut trouver dans beaucoup de villes frontière.

Pour accéder au centre ville depuis la gare, c’est facile. C’est tout droit jusqu’au Rio Guadiana, la rivière qui depuis Badajoz fait un coude en direction du sud et constitue la frontière hispano-portugaise jusqu’à l’océan Atlantique. Pour traverser la rivière il faut traverser le Puente de las Palmas, le seul pont ancien de la ville qui date de la fin du XVe siècle. Sur l’autre rive, vous serez accueillis par la monumentale Puerta de la Palmas, une porte du XVIe siècle, un des vestiges des remparts qui ceinturaient la ville à l’époque. Aujourd’hui, elle a été rétrogradée en simple rond-point. Eh oui, la vie de porte médiévale au XXIe siècle est parfois ingrate.

Plaza de España

C’est la place centrale de la ville où convergent toutes les ruelles de la ville haute, le centre historique, vers la ville basse plus moderne. La place possède d’ailleurs quelques bâtiments modernistes ainsi que l’hôtel de ville un peu plus baroque. L’ambiance est typiquement castillane sur cette place. L’édifice le plus emblématique est la cathédrale San Juan Bautista construite en 1230 juste après la Reconquista. Elle possède d’ailleurs le style architecturale typique de la Renaissance espagnole impulsée par les Rois Catholiques.

L’Alcazaba

Eh oui, les Arabes ne se sont pas contentés de l’Andalousie! Ils sont venu conquérir une partie de l’Estrémadure dont Badajoz où ils sont venus construire la plus grande alcazaba (un château fortifié datant de l’époque musulmane) d’Europe. En effet, elle s’étend sur plus de huit hectares! La muraille l’entourant mesure plus de cinq kilomètres et reste encore aujourd’hui, la plus grande d’Espagne! La construction date du XIIe siècle mais le site était déjà occupé auparavant par les Visigoths dont on peut encore apercevoir quelques ruines à l’intérieur de l’enceinte. A part quelques portes en forme de serrure typiquement islamiques, il ne reste pas grand chose de cette époque. La forteresse a fortement été remaniée par les rois catholiques après la Reconquista, elle a d’ailleurs toutes les caractéristiques d’un château fort médiéval.

Au XVIIe siècle, le Portugal retrouve son indépendance vis-à-vis de l’Espagne, Badajoz devint donc une frontière et une ville qu’il fallait protéger de « l’ennemi portugais ». Voilà pourquoi l’alcazaba a été renforcée et ragrandie à cette époque.

Fun fact : juste au sud de Badajoz, se trouve la petite localité d’Olivenza ainsi que sa voisine Taliga qui appartiennent à l’Espagne mais qui sont revendiquées par le Portugal. Ce sont des territoires gagnés par l’Espagne suite à la Guerre des Oranges en 1801, guerre entamée suite au refus des Portugais de s’aligner sur Napoléon pour un blocus contre l’Angleterre. Cette reprise de territoire a initié un gros différend diplomatique qui n’a toujours pas été réglé en plus de deux siècles. Aujourd’hui, les deux gouvernements respectifs ont d’autres chats à fouetter que de se disputer deux bleds même pas stratégiques et les relations entre les deux pays sont très bonnes. Mais officiellement, il y a toujours un territoire controversé au milieu de la péninsule ibérique et c’est assez fou quand on y pense!

Il vaut la peine d’effectuer la promenade sur les remparts et en plus, c’est gratuit! Il faut juste éviter d’y aller en été en plein cagnard car il n’y a pas un coin d’ombre, sauf dans la partie jardin qui, sans être digne de Versailles, est très jolie.

La Plaza Alta

Située au pied de l’alcazaba, on l’appelle tout simplement « La Plaza » car malgré l’agrandissement de la ville et la construction de la Plaza de España dans la ville basse, elle reste dans le cœur des habitants LA place principale de la ville. Il est vrai que tous les magazines de voyages la classent parmi les places les plus impressionnantes d’Espagne et nous ne pouvons que leur donner raison! Elle est super belle surtout les façades rouges et blanches qui en dominent le côté nord. Au Moyen-Age, c’était tout simplement la place du marché avant de devenir un campus universitaire à la Renaissance. Aujourd’hui, on y célèbre les fêtes patronales.

Cette première découverte de l’Estrémadure fut une très bonne surprise. Malgré sa position de carrefour culturel, la région possède sa propre culture, son propre caractère et sa propre âme. Dommage qu’en tant que parent pauvre de l’Espagne elle soit mal desservie par les transports publics et paraît inaccessible malgré une bonne position géographique entre Madrid et Séville. Mais vous nous connaissez, nous allons bien trouver un moyen de nous adapter afin d’aller découvrir d’autres petits trésors de ce coin un peu méconnu.

Pamukkale et l’arrière-pays égéen

Comme nous n’avons pas pu traverser vers la Grèce depuis Bodrum, nous avons droit à quelques jours de rab en Turquie. Quel dommage! Il nous faut donc nous creuser la tête pour trouver des idées afin d’occuper ces quinze jours supplémentaires. Non, on déconne! Des idées, nous en avons plein! Nous en avons tellement qu’il nous faut faire des choix cornéliens. Ce ne sont pas les activités qui manquent dans ce pays! Comme nous savons pertinemment que nous allons avoir l’occasion de profiter de la mer plus tard, nous avons décidé d’explorer une partie de l’arrière pays de la côte de la mer Egée. En plus, l’itinéraire est assez logique pour rejoindre Istanbul où nous sommes attendus de pied ferme.

Pamukkale

Notre première étape sera le site de Pamukkale. Pour des raisons pratiques et économiques, nous logeons dans la ville de Denizli, 17 kilomètres plus bas, qui peut prétendre au titre peu envié de ville la plus moche de Turquie. De là, des dolmus font la navette assez fréquemment entre l' »otogar » (la gare routière) située en plein centre-ville et le site de Pamukkale. Il y a un semblant de village à proximité du site avec restaurants et hôtels mais franchement, il est aussi déprimant que Denizli en beaucoup plus cher.

Tout le blanc que nous voyons, ce n’est ni de la neige, ni du sel mais du travertin! C’est une pierre très calcaire assez commune dans le bassin méditerranéen. Par exemple, le Colisée de Rome est construit en travertin. A Pamukkale, ce sont plusieurs sources d’eau plus ou moins chaude (il y en aurait au moins 17!) qui forment cette belle tufière recouverte de calcaire d’un blanc étincelant. Voilà à quoi pourrait ressembler votre salle de bains si vous ne la lavez pas pendant des années!

Le site se visite à pieds nus afin de ne pas trop détériorer l’environnement. C’est assez étonnant car la pierre est froide alors que la température de l’air est bien chaude (27 degrés!). Comme le paysage ressemble à s’y méprendre à un glacier, nous avons le réflexe de marcher précautionneusement afin de ne pas nous casser la figure sur la glace, mais comme c’est de la roche, le terrain n’est pas du tout glissant!

Les bassins

Le chemin est, en partie, composé de bassins qu’il faut traverser. Tous ne sont pas remplis en cette saison mais ceux qui le sont contiennent une eau bien minérale et, paraît-il, thérapeutique. La température de l’eau n’est pas égale partout, c’est la surprise à chaque bassin. Ça passe du glacial au très chaud, jusqu’à 45 degrés et c’est un très bon moyen de donner un coup de fouet à notre circulation sanguine!

Il y a également des bains thermaux au pied de la colline mais ne sont ouverts que de mai à octobre. Franchement, ce ne sont que trois petites piscines en contrebas de la tufière qui, à notre avis, ne valent pas le coup.

Visiter Pamukkale en pleine saison doit être invivable car blindé de monde mais en hiver, ce ne doit pas être la panacée non plus à cause des bassins à traverser pieds nus. Nous sommes contents que notre passage coïncide avec une chaude journée de printemps. Il n’y a encore pas trop de monde et nous ne risquons pas de perdre un orteil pour cause d’eau glacée.

Au sommet de la colline se trouve le site archéologique d’Hiérapolis qui était, on vous le donne en mille, une station thermale de la Grèce antique. Nous n’avons pas été la visiter tout simplement par manque d’envie. Nous avons déjà vu des dizaines de sites archéologiques en Turquie et nous commençons à en être un peu lassés.

Une des raisons qui nous a poussé à loger à Denizli plutôt qu’à Pamukkale, c’est la gare! Non, la gare n’est pas intéressante c’est un vieux bâtiment des années 1950 tout moche mais ça nous permet de prendre le train assez tôt le matin pour la suite de nos aventures. Nous prenons un peu de hauteur et traversons des hauts plateaux entourés de grandes montagnes. C’est comme ça que nous imaginons les steppes de Mongolie. Après cinq longues heures à nous traîner dans ces steppes anatoliennes, nous voici arrivé dans la ville d’Afyon, située elle aussi sur un plateau culminant à 1021 mètres d’altitude au milieu des montagnes d’Emir.

Afyonkarahisar

Rassurez-vous, pas besoin de retenir le nom à rallonge d’Afyonkarahisar puisque le surnom officiel de la ville est tout simplement Afyon. Administrativement, elle se situe encore dans la région égéenne mais culturellement, nous sommes déjà bien en Anatolie avec des petites maisons ottomanes colorées, une ambiance vraiment tranquille (bien plus que sur la côte!) des hautes chaînes de montagnes et un climat un peu plus rude.

Le centre historique

Afyon est située à un carrefour stratégique, à mi-chemin entre Izmir et Ankara et également entre Istanbul et Antalya. En plus, elle est connue pour ses nombreuses sources thermales. Elle est donc depuis l’Antiquité un point de passage et d’escale incontournable pour les voyageurs. Afyon signifie opium en turc car la région en produit en grande quantité. Aujourd’hui, les cultures sont strictement encadrées par l’état mais à l’époque elles alimentaient le marché des stupéfiants. Encore une raison supplémentaire de faire escale dans le coin pour les caravanes. Afyon connut son âge d’or durant presque toute la période de l’empire ottoman. De cette époque, il nous reste un magnifique centre historique construit à partir du XIIIe siècle avec de magnifiques petites maisons ottomanes, en partie superbement restaurées, ainsi que des mosquées datant de la même époque.

Le château d’Afyon

Rien que le centre historique c’est déjà du lourd! Pourtant ce n’est rien comparé au château qui le surplombe! C’est surtout le promontoire rocheux qui est vraiment impressionnant. On pourrait croire à son aspect que c’est une roche karstique comme dans le sud de la Thaïlande. Que nenni! Cet éperon rocheux est le résultat d’une intense activité volcanique datant du pléistocène, c’est à dire, il y a plus de 12’000 ans! Il s’élève à 226 mètres en dessus de la plaine sur laquelle est construite la ville d’Afyon. C’est 57 mètres de plus que celui d’Alicante que nous avons déjà trouvé balèze quand nous y avons été.

Le seul moyen d’accéder au château c’est à pieds! La montée se fait au moyen d’un escalier en pierre. Ce n’est pas très compliqué mais nous vous déconseillons tout de même d’y monter en tongs! Nous n’avons pas eu le courage de compter les marches mais c’est une belle petite grimpette. Certains endroits peuvent quand même être scabreux pour les personnes souffrant de vertige mais le chemin n’est pas dangereux en soi.

Le sommet

Tout ce qu’il reste du château, ce sont les remparts qui entourent l’entier du sommet du promontoire rocheux. La forteresse, construite en 1350 avait un but purement défensif. Il n’y avait donc de toute façon pas de super palais à l’intérieur de celle-ci. Vu l’environnement un peu hostile du lieu (relief mal plat, prise au vent, etc), la construction de l’édifice n’a pas dû être une partie de plaisir, autant se contenter du strict minimum ce qui est déjà pas mal.

Pour vous faire une idée de la prise au vent au sommet, regardez le drapeau turc! Il lui manque un bout qui a été arraché par de fortes bourrasques qui sont assez fréquentes dans la vallée. NB : Vous pouvez agrandir la photo en cliquant dessus!

Le clou du spectacle!

Si nous avons fait l’effort de grimper jusqu’au sommet, c’est évidemment également pour la vue! Nous pouvons jouir d’un panorama à 360 degrés sur les montagnes d’Emir, le centre historique, la ville moderne et les fameux hauts plateaux qui nous emmènent déjà en Anatolie Centrale. Il souffle un fort vent du sud-ouest nous amenant un peu de calima, l’atmosphère n’est donc pas très nette mais ça n’enlève rien à la beauté du panorama!

Nous avons une confidence à vous faire! La région de la mer Egée est beaucoup plus sympa et intéressante du côté montagne que du côté mer! Et pourtant, nous sommes des drogués du bord de mer! Peut-être est-ce dû au fait que la côte méditerranéenne au sud est vraiment ouf et qu’en comparaison, la côte ouest fait un peu pâle figure. Nous ne sommes pas en train de dire que la côte égéenne est nulle, bien au contraire, c’est vraiment joli mais il manque ce petit supplément d’âme que nous avons trouvé au sud et dans l’arrière-pays.

Voilà, il est temps maintenant de nous mettre en route pour Istanbul où nous attend de pied ferme la famille de Van pour un petit séjour en famille dans la belle Constantinople.